MATTIN Entretien réalisé par courrier électronique par Michel Henritzi, 2006-2007. Traduction : Thierry Bokhobza MATTIN a grandi en écoutant The Stooges, le Velvet Underground et le groupe punk basque Eskorbuto, se nourrissant de l’énergie électrique portée par ces groupes séminaux. L’esthétique du « Do It Yourself » aussi, et l’affirmation de la puissance de basculement du son dans la théorie du chaos pour bagage théorique. MATTIN joue d’une culture transversale, connecté à une tour de Babel électronique en fichier MP3 et aux vinyles incunables de l’underground ; mais il joue aussi sa critique, reliant Adorno à Whitehouse ; le bruit comme critique radicale de la musique dite improvisation improvisée, le silence comme sa contradiction. MATTIN travaille le feedback en orfèvre doué, matière qu’il module et contrôle, le lançant à l’assaut de notre chaîne hi-fi, pour en rompre le confort d’écoute et que s’ouvre notre corps en deux pour laisser sortir le corps dansant. Réfractaire aux dogmes de l’improvisation festivalière, il agace et perturbe le milieu policé de l’improvisation idiomatique tel un jeune chien enragé, son ordinateur chantant : « Punk not dead. » En guise de technique de sabotage, MATTIN brise les lignes instrumentales de ses partenaires et le climat par des ruptures de volumes, un peu comme si Merzbow emboutissait la musique de Radu Malfatti, ouvrant sur des silences angoissants, paniques. Pour certains, MATTIN n’agit que selon des stratégies médiatiques, opportunistes ; plus sûrement, il assume les questions que se doit de poser toute nouvelle génération à l'Histoire, au risque de déplaire universellement. La musique, pour lui, est une fête bruyante s'opposant au carême des bigots de la musique sérieuse. MATTIN a joué notamment avec Taku Sugimoto, Radu Malfatti, Eddie Prévost, Taku Unami, Junko, Tim Barnes, Axel Dörner, Tim Goldie, Tony Conrad… R&C : Tu es apparu assez récemment sur la scène internationale des musiques improvisées, au début des années 2000. Depuis, tu as joué avec quelques-uns des musiciens les plus radicaux de cette nouvelle improvisation comme Taku Unami, Mark Wastell, Taku Sugimoto, ou encore avec certaines des figures tutélaires de l’improvisation libre comme Eddie Prévost et Radu Malfatti. Ton approche de l’improvisation est marquée par une rupture de sens que tu joues entre noise extreme et silence. Revendiquer les influences de Radu Malfatti et Whitehouse pourrait n’être qu’un simple jeu provocateur à l’intention de l’establishment des musiques improvisées et de son dogmatisme. En quoi ces deux extrêmes sonores ouvrent-ils sur de nouveaux territoires de jeu pour l’improvisation ? Comment réconcilier ces deux pôles de l’extrême sonore ? MATTIN : Quand j'ai commencé, j'envisageais l'improvisation comme un champ des possibles au sein duquel on peut faire tout ce qui est matériellement envisageable et intellectuellement concevable. Où l'on peut explorer toutes les manières de jouer sans avoir à se soucier de consensus réducteurs, tenir compte des pôles, des extrêmes et des opposés. L'improvisation c'est le conflit, des personnes différentes qui se réunissent et font quelque chose, mais quoi bordel ? S'amuser ? Peut-être, ma conception de l'amusement c'est de ne pas s'ennuyer. Je viens de lire une interview de Mark Wastell, dans le numéro de novembre de Paris Transatlantique, dans laquelle il disait ne plus du tout se considérer comme improvisateur depuis quelques années, qu'il y a un élément de composition dans le fait même de monter un groupe. C'est peut-être vrai, mais pourquoi Mark ne veut-il pas être associé au terme “improvisation” ? Peut-être parce que l'histoire et la tradition de l'improvisation ne sont pas les plus attrayantes, alors qu'envisager la composition de manière très ouverte, comme le fait Mark, peut amener une approche musicale plus intéressante. A mon avis, ce problème de terminologie montre que les définitions ne sont plus aussi claires. Des musiciens comme Radu et Taku mêlent compositions et impro’. Personnellement, je trouve toujours utile le terme “improvisation”, qui m'apparaît comme une fin ouverte modifiable en permanence. Je ne pense pas que l'improvisation soit l'exclusive des musiciens, elle apparaît toujours d'une façon qui rend impossible la prévision de ce qui va se passer dans une situation donnée. Les ordinateurs et les samples nous ont montré qu'on peut appuyer sur un bouton et générer un son décontextualisé. On peut jouer un fichier aussi long que l'on veut, et éventuellement se contenter d'écouter et d'observer les réactions qu'il suscite sur le public. Comme les réalisateurs structuralistes le pensaient dans les années 70, l'œuvre ne se limite pas au film, mais appartient aussi à l'esprit du public qui cherche à la comprendre. Et dans ce sens, tout le monde est public, y compris le réalisateur. Du fait de son abstraction, cela peut s'appliquer à la musique improvisée. Ça peut être vrai pour tous les genres musicaux, mais je ne suis pas certain de l'ouverture des autres musiques aux aspects marginaux du son et de la performance. La musique très calme nous aide à apprécier les sons qui émergent durant la performance sans qu'ils soient nécessairement le fait des musiciens. Les sons extérieurs peuvent être l'aspect le plus dramatique de ce type de performance, ou les simples gargouillis d'estomac d'un spectateur. Il est impossible d'isoler les sons des musiciens des autres sons. Je crois que l'on peut envisager un concert improvisé comme une situation particulière, il nous faut juste avoir en tête que nous ne faisons pas que de la musique, mais que nous construisons un espace social. Comme nous l'a montré Henri Lefebvre, l'espace n'est jamais neutre et implique toujours des courants relationnels. Quand nous improvisons, nous devons essayer de nous en libérer et de contrer « l'illusion de la transparence », l'idée que tout ce qui arrive est simple et généreux, ce qui n'est jamais le cas selon moi. R&C : Comment en viens-tu à t‘intéresser à l’improvisation ? Comment se fait le passage de l’énergie rock à l’improvisation ? MATTIN : Je me souviens que lorsque j'étais bassiste dans mon premier groupe, comme je changeais tout le temps les lignes de basse et n'avais pas un bon sens du rythme, les autres membres m'en voulaient parce qu'à cause de moi les chansons sonnaient faux du fait de mon incapacité à jouer correctement. Mais j'ai toujours pensé que si l’on est doté d'incapacité, ou de la capacité de faire les choses de travers, aller au maximum dans ce sens conduit toujours quelque part. L'improvisation a cela de génial qu'il n'est pas question de jouer correctement ou pas : le processus d'apprentissage est permanent, et ce qui compte vraiment, c'est la réaction au bon moment, l'intensité, être aussi concentré que possible dans la situation, avoir le sentiment qu'on ne voudrait être nulle part ailleurs parce qu'il n'y a nulle part rien d'aussi intéressant que ce qui se passe ici. R&C : Ce débat qui a lieu depuis quarante ans entre ce qui oppose improvisation et composition reste toujours vif. Cette opposition fait-elle encore sens pour toi aujourd’hui ? MATTIN : Non. Ce qui compte, c'est de faire, d'utiliser ces mots comme des propulseurs de possibilités, de prendre ce qui te tombe sous la main et de faire quelque chose avec. Ces derniers temps, j'introduis des concepts dans le contexte de l'improvisation, de façon à justement interroger l'essence de ce qu'elle est vraiment. Qu'est-ce que la liberté ? Je continue de penser qu'il y a des aspects traditionnels de l'improvisation qui doivent être questionnés. Pourquoi avons-nous besoin de réaliser nous-même la musique, pourquoi ne pas simplement apporter des idées que quelqu'un d'autre pourra exprimer ? Les musiciens sont encore trop attachés à l'instrument. Je ne parle pas là de composition ; je parle du fait d'apporter des idées différentes qui peuvent bousculer les conceptions admises de l'improvisation. Le monde de l'art est ici en avance sur celui de l'improvisation, parce que les artistes n'ont pas forcément besoin de réaliser l'œuvre, que d'autres peuvent représenter les idées. Ces idées peuvent alors être confrontées à d'autres pour constituer quelque chose, ce qui n'implique pas de faire une bonne impro. Il y a déjà le fait que les gens se mettent à changer régulièrement d'instrument, ce qui est absolument parfait, de la même façon qu'un artiste peut être multidisciplinaire. Quelqu'un comme Mark Wastell ne souhaite pas être considéré comme un grand violoncelliste (ce qu'il est), mais préfère probablement être estimé en tant que musicien intéressant. R&C : Qu’est-ce qui a bougé dans la pratique de l’improvisation entre le moment où cette musique s’invente et répond à un questionnement politique et l’école du new silence ? Ne sommes-nous pas dans la répétition d’expériences jouées dans les années 60 ? L’improvisation reste une pratique marginale, même si elle est accueillie dans les galeries d’art contemporain, et si elle a pris place sur les rayonnages de la marchandise culturelle comme n’importe quelle autre forme idiomatique. Dans la mesure où les acteurs de cette scène de l’improvisation se veulent en rupture avec les codes dominants, pourquoi chercher une reconnaissance de ce qu’on remet en question ? La plupart des festivals sont subventionnés par l’État, beaucoup de musiciens déplorent le peu d’intérêt que leur musique suscite, notamment dans la recherche universitaire, historique… MATTIN : C'est une question intéressante mais également très compliquée. Que nous soyons baisés, aucun doute là-dessus : le capitalisme fait de nous des objets qui doivent être achetés et vendus pour la survie du système. Cette spirale a besoin de se reproduire constamment ; et alors qu'elle grossit, nous sommes ballottés de-ci de-là. Changer tout ça ne me semble pas la chose la plus facile. Mais essayer peut être amusant, réaliser quels sont les aspects de notre environnement qui nous empêchent de nous exprimer, qui nous contraignent ; tenter de faire quelque chose de ces obstacles peut être un bon point de départ pour changer notre entourage immédiat. En matière de reconnaissance, je dois dire que je suis intéressé par le discours qu'une œuvre peut générer. Comme je l'ai dit, je ne pense pas que la pièce soit terminée une fois gravé le CD master, et je crois que c'est là qu'arrive vraiment l'improvisation : que vont en faire les gens ? Je trouve ça très intéressant. Souvent, mes amis musiciens n'apprécient pas les critiques, alors qu'elles sont pour moi un moyen de savoir ce que la pièce produit réellement. Je sais qu'il est difficile de mettre en mots une expérience, mais je crois aussi qu'il est important d'au moins essayer de dire d'où l’on vient pour que les gens nous comprennent. R&C : Tu dis de l’improvisation qu’elle ne cherche en aucun cas à consolider des structures, comme cela peut l’être dans la musique idiomatique. Que c’est un pur processus qui ne vise pas l’objet fini, et qu’en ce sens ce serait une situation autonome. Ne peut-on pas l’analyser finalement comme une sorte de processus de collage qui part non plus d’un idiome dont on organise les éléments constituants mais d’une idiosyncrasie, une manière d’être particulière à l’improvisateur ? Le musicien assemble en temps réel des éléments du vocabulaire qu’il s’est constitué. N’y aurait-il là qu’une différence d’échelle ? Sinon, pourquoi beaucoup d’improvisateurs auraient-ils eu besoin de se créer des systèmes de contraintes ? MATTIN : Je ne pense pas que l'improvisation puisse être une situation autonome. Mais où se situe le point de rupture ? Quand la liberté se manifeste-t-elle vraiment (à supposer qu'elle existe) ? Je crois que l'improvisation en tant que modus operandi est plus libératrice que d'autres formes de jeu. Comme je l'ai dit, un concert est un espace social dans lequel les gens apportent leurs attentes, attentes manifestement liées à la conscience d'aller assister à un concert. En fin de compte, un concert n'est censé être qu'un concert, une distribution de musique qu'on peut apprécier et des musiciens qui jouissent de notre attention dans le meilleur des cas. Qu'est-ce que ça peut changer ? Une hiérarchie est clairement établie, dans laquelle l'exécutant est toujours en position de force et le public souvent soumis. Cette musique est censée rompre avec les hiérarchies, mais de nombreux musiciens ne songent qu'à la reconnaissance du public, une transaction très simple qui n'est qu'une prostitution culturelle alors qu'on nous parle de révolution. R&C : L’improvisation libre, et plus particulièrement l’école réductionniste et les groupes industriels (pour reprendre cette vieille terminologie politico-esthétique), ne sont-ils pas dans une forme de méta-musique spectaculaire ? Guy Debord dénonçait la culture comme la marchandise idéale, celle qui fait accepter toutes les autres. Cornelius Cardew, lui aussi, a critiqué les « avant-gardes » comme moments culturels bourgeois coupés du bruit social. Ces deux pôles ne seraient-ils pas une illusion critique et libertaire ? MATTIN : Si on veut être positif, on peut éventuellement les envisager comme des détournements d'autres aspects de la vie liés à des postures plus conservatrices, comme la musique industrielle-fasciste ou la musique classique-réductionniste. J'ajouterais que Cornelius avait peut-être raison et que l'avant-garde est un système clos, qui tente d'échapper à la saloperie de nos vie en se réfugiant dans un nid douillet. On peut être aussi radical que possible en jouant cette musique abstraite quatre heures sur une scène ; ce qui est certain, c'est qu'on n'améliorera pas les conditions de travail du barman. Alors, en termes de relation directe au politique, cette musique n'apporte pas grand-chose. En même temps, pour en revenir à la période communiste de Cornelius, je ne pense pas que s'impliquer dans un parti puisse remédier à nos problèmes et que ce dont nous ayons réellement besoin maintenant soit une propagande pour accéder au pouvoir. Que se passe-t-il une fois qu'on a le pouvoir ? Comme toujours, l'autorité sera exercée du haut vers le bas par quelques bureaucrates qui voudront sûrement juger de la manière bonne ou mauvaise dont nous usons de notre créativité. Le personnel politique nous a offert une bonne dose de roublardise. Alors il peut être utile d'introduire de la politique dans ce que nous faisons, ou plutôt de penser à la politique induite par nos actes ; je veux dire par là que ce que nous faisons, c'est dire quelque chose aux autres, même si ce n'est qu'à un très petit nombre de personnes. Je pense que nous devons aussi prêter attention au fait que de plus en plus de personnes qui travaillent dans la culture deviennent les peones du mode de production capitaliste du monde occidental. On peut voir que la qualité de vie des villes est de plus en plus évaluée à l'aune des événements culturels qui s'y déroulent. R&C : Il y a dans l’improvisation libre un star system qui fait que les festivals inviteront plutôt tel musicien que tel autre. N’y a-t-il pas un risque pour toi d’être utilisé commercialement comme le grain de sable qui vient gripper la pratique routinière ? MATTIN : Bien sûr, mais ce qui importe c'est ce qu'on fait en situation ; si ce que je fais s'avère réactionnaire ou ne change rien aux choses, je ferais mieux d'aller me payer une glace ; mais si au contraire je parviens à poser certaines questions qui peuvent faire réfléchir les personne présentes, moi inclus, c'est déjà quelque chose. J'ai joué une fois dans un festival, un concert moyen avec de la belle musique, et je me suis senti merdique, je me disais « plus jamais de concert bateau, que ce soit vraiment bon ou complètement foireux, mais au moins intense ». R&C : Tu évoques souvent Whitehouse. Quels aspects t’intéressent dans ce groupe ? Comment composes-tu avec l’ambiguïté politique du groupe, notamment dans son rapport autoritaire à la scène et au public ? Ils agressaient souvent leur auditoire (avec qui ils étaient dans un rapport d’échange marchand, le public payant sa place) pour sa passivité face au spectacle du rock'n’roll. Il y avait cette tentative nihiliste d’arriver à créer un happening collectif destructeur. Que t’apporte leur son, cet extreme noise terror ? MATTIN : Whitehouse a beaucoup changé ces dernières années et est maintenant plus parodique que transgressif. Si je paie pour un concert, je ne pense pas devoir ne recevoir en retour qu'une simple satisfaction. Si je paie pour un concert, je veux que les musiciens fassent quelque chose avec moi, qu'ils me donnent envie de n'être nulle part ailleurs, parce que c'est là l'endroit le plus intéressant où je puisse être. D'ailleurs, être intéressé n'a pas grand-chose à voir avec être satisfait. En Grande-Bretagne, les gens disent beaucoup « s'il te plaît » et « merci », et il est bon parfois que quelqu'un vienne et te dise : « pauvre con ». Bien sûr, en Grande-Bretagne, ils ont le génie de rentabiliser la culture populaire ; du coup, entendre ces mots n'est plus tellement marquant. Les premiers disques de Whitehouse présentent de nombreux aspects réductionnistes, longs feedbacks et silences, et beaucoup d'aspects de la noise contemporaine ; mais l'époque et ces types étaient naturellement controversés, ils étaient dégoûtés par la société et dans une certaine mesure ils dégoûtaient la société. Aujourd'hui, il est très rare de rencontrer ce penchant pour la confrontation. Des individus comme Wolf Eyes ou Prurient ne vont pas te faire ressentir d'aliénation, pas plus qu'ils ne vont déprimer, ou motiver, ou faire passer un sale moment à qui que ce soit. En fait, ce genre de musique est devenu quelque chose comme de la musique de teuf. Ils jouent, ils tournent, ils boivent quelques bières et à chaque disque le son s'améliore, comme tous les autres groupes ; personne ne se prend la tête à savoir ce qui se passe, mais quelqu'un est certainement en train de s'en foutre plein les poches. R&C : A la suite du manifeste de Bruce Russell, tu prêtes au bruit un pouvoir émancipateur face aux codes musicaux académiques ; nous passerions dans un au-delà de la musique, et surtout ce serait un espace de liberté. Ne penses-tu pas que toute musique jouée à très fort volume est au contraire une forme de contrainte du public, que la musique noise crée un rapport de soumission ? Pour reprendre Pascal Quignard : « Les oreilles n’ont pas de paupières. » La noise n’est-elle pas la forme de musique la plus autoritaire et, paradoxalement, la moins politique dans le sens où tout discours y est brouillé ? MATTIN : C'est un des arguments les plus dégueulasses que j’aie pu entendre, comme quand Eddie Prévost dit « oh mon Dieu, c'est trop fort » ou « oh c'est trop calme ». Au nom de qui parle t-on ? De l'humanité ? Devrions-nous, en tant que musiciens qui ne jouent souvent que pour vingt personnes, être concernés par le bien-être auditif de toute l'humanité ? Je ne pense pas que ce genre de musique ait à voir avec le consensus, mais plutôt avec la capacité à exprimer notre créativité à plein volume, sans que quiconque vienne nous dire que ce qu'on fait est mauvais. Dans ces musiques, les gens explorent généralement leurs instruments sous toutes les coutures, rien de plus normal que d'utiliser les haut-parleurs de toutes les manières possibles. Si tu viens à un concert noise ou d'impro, j'imagine que tu veux être secoué ; du son joué au bon volume peut développer une intensité physique que tu ne peux pas atteindre autrement. Il y a toujours des rapports de pouvoir en cours, et ne me dis pas que des putains de musiciens qui jouent toute une heure à un volume raisonnable ne t'imposent pas une soumission hard-core ! Alors même si « les oreilles n'ont pas de paupières », les salles ont des portes ! Certains disent que tu es autoritaire quelle que soit la manière, très douce ou très forte, dont tu joues, mais selon quel critère ? Globalement, par rapport à la façon dont la musique a été perçue au cours de l'Histoire. En général, les premiers comprennent le truc, et ne te méprends pas : je crois que les gens s'arrangent avec le bruit et le silence depuis très longtemps, mais parce qu'ils ne sont pas totalement récupérés ils peuvent être offensants. Pas totalement récupérés parce que le public trouve encore que c'est hors norme. Mais ici se pose une autre question : de quel genre de public parlons-nous ? De toute évidence, un public noise trouvera un concert agressif de Mark Wastell plutôt insipide, alors qu'un public habitué à ses improvisations raffinées trouvera ça très noisy. R&C : Tu dis dans une interview que tu cherches à jouer contre (tout au moins à contredire les conceptions que tes partenaires ou le public peuvent avoir). Jouer contre l’autre, contre l’attente du public, contre le musicalement admis, n’est-ce pas une remise en cause du corps social, du travail collectif ? Cette façon de se construire contre, c’est une démarche assez nihiliste au fond. Est-ce la seule façon pour que l’expérience collective puisse avoir lieu ? Faut-il y voir des stratégies de rupture avec le dogmatisme des musiques improvisées et leur questionnement ? MATTIN : Je ne conçois pas la musique improvisée comme de la jolie musique, mais comme une façon de montrer les contradictions inhérentes à son processus de création. Il m'arrive d'entendre la musique la plus réactionnaire de la part de personnes du champ de la musique expérimentale, alors il n'est pas surprenant qu'ils s'expriment souvent de manière assez réactionnaire. Jouer de la musique improvisée est sans nul doute une expérience collective ; et je crois que plus le collectif est riche, mieux c'est, plus il y a de différences en son sein, plus nous pouvons apprendre les uns des autres. R&C : Tu écris beaucoup sur la musique, et notamment sur l’improvisation. Pourquoi ce besoin de commenter ta pratique ? N’est-ce pas une façon de réduire et donc d’enfermer une pratique dans une catégorie, de la faire passer pour respectable à travers sa conceptualisation ? MATTIN : La relation entre musique et langage est compliquée mais elle existe. Tout ce que nous venons de dire à propos de musique ne concerne pas que la musique ; c'est une construction sociale qui s'est développée au cours des ans de diverses manières. Nous sommes complètement immergés dans un système économique, et je ne suis pas sûr qu'on puisse avoir une prise sur cette relation en jouant seize heures par jour une vie entière. À travers l'écriture, j'essaie de comprendre mon action et sa relation au monde et à ce système économique, une relation que je trouve très complexe. R&C : Dire que l’improvisation n’est pas un produit consommable me semble discutable. Dans le microcosme de l’improvisation, le sujet est transformé en objet comme pour tout autre genre musical. Outre l’économie qu’elle génère (et ce n’est qu’une question d’échelle, ça tu le dis très bien) à travers les concerts et une production de plus en plus abondante de disques, il y a également un rapport marchand entre le promoteur, le public et le musicien. Un rapport qui est fondé sur la vente d’un produit, que ce soit une unité temporelle ou un disque. Aujourd’hui, les disques se recouvrent les uns les autres dans un mouvement de production qui répond aux mêmes logiques de marché. Il n’y a pas toujours une justification esthétique à la sortie d’un disque. Derek Bailey a dit ceci, que j’aime beaucoup : « Le problème avec les enregistrements, ce sont les disques. » Comment réagis-tu au propos de Bailey ? MATTIN : Je crois qu'Internet change vraiment cette relation aux notions classiques de marché ; non pas qu'il en soit indépendant, mais peut-être l'argent y est-il moins visible ou reste en arrière-plan. Ça reste sans doute basé sur l'attention et la reconnaissance, mais à présent il n'y a plus d'intermédiaire pour tirer profit de toi. Les gens peuvent mettre leur musique en ligne, et tous ceux qui sont connectés peuvent l'obtenir gratuitement. Bien sûr, la production explose, mais je pense que c'est lié à des causes très positives qui permettent à tout un chacun de créer, enregistrer et promouvoir sa musique lui-même. R&C : Entre 2001 et aujourd’hui, tu as publié plus d’une trentaine de disques, là où il a fallu quarante ans à des musiciens comme ceux d’AMM ou Radu Malfatti pour produire un nombre comparable de disques. Qu’est-ce qui rend ces disques nécessaires et les justifie, notamment pour quelqu’un qui semble très critique envers la marchandisation de la culture ? MATTIN : Faire des disques est un processus très différent de l'improvisation en concert. C'est une autre manière de travailler que j'apprécie parce qu'elle est beaucoup plus dialectique. Tu peux choisir de prendre du temps ou de le faire rapidement. Tu peux y réfléchir, modifier, discuter, effacer… et avoir une distance critique (ou pas). C'est presque comme jouer les petits Frankenstein. Plus c'est monstrueux, mieux c'est. En créant ce monstre, tu peux le façonner peu à peu à ton idée. Tu dois aussi t'accommoder de pas mal de technologie, l'enregistrement, l'édition, le mastering, le pressage, la promotion, la distribution, etc. Une fois tout ce travail achevé, tu n'as aucune idée des conditions dans lesquelles ton disque va être joué : des gens qui font la vaisselle, qui parlent de leurs affaires, qui pensent peut-être à leurs vacances, qui dansent, qui y réfléchissent très attentivement, qui l'aiment comme l'impossible amour qui rend cette musique obsédante. Dans quel type d'enceintes ta musique va t-elle être diffusée ? Depuis un ordinateur ? Une copie CD-R ou le “vrai CD”, MP3, ogg, mauvaise compression, bonne compression…, des questions très délicates apparaissent. R&C : Pourquoi avoir choisi le CD-R comme support pour ton label w.m.o./r ? Ça me fait penser à l’économie underground qui est apparue avec le support cassette dans les années 80. Un produit qui annonçait sa disparition (à travers le jeu des modes et des ruptures expérimentales, mais aussi matériellement, par son instabilité lors de sa conservation). MATTIN : Je fais simplement avec ce que j'ai sous la main et ce que je peux en faire. Si j'ai un graveur de CD dans mon laptop, je vais graver des CD jusqu'au décès du graveur. Mais ça dépend en fait du projet : parfois nous partageons les coûts à plusieurs pour avoir 500 copies, et chaque musicien peut en avoir 100. Chaque projet est différent, mais je suis persuadé que les CD-R sont parfaits parce qu'on peut fabriquer à la demande, comme ils faisaient chez Toyota dans les années 80. R&C : Pourquoi avoir créé ce label ? Quelle en est l’idée ? MATTIN : Pour ne pas avoir à attendre après d'autres personnes dont les décisions pourraient être aussi mauvaises que les miennes. Pour avoir une totale autonomie pour le visuel et la distribution. Certaines réalisations du label ont un concept qui envisage le CD dans sa relation à la jaquette et au livret. R&C : Pour rester sur l’idée du support, que penses-tu du MP3 ? Écoute-t-on la même musique que celle qui a été originellement jouée ou enregistrée ? Michel Chion parlerait de basse définition. Cette idée du peer to peer te semble t-elle remettre en cause le système ? Ou bien cette dématérialisation du disque dans le Réseau n’est-elle pas au fond une façon de nous vendre les mêmes pacotilles sous une forme purement virtuelle ? MATTIN : Pour être honnête, je n'achète pas de disques, je les prends sur Internet. Alors je n'aurais peut-être pas la belle pochette du CD-R amoureusement faite à la main, mais je me fous du visuel des disques, qui se limitent souvent à un design fadasse adapté à l'esthétique musicale. Je pense que l'essentiel est d'accéder à l'écoute. Et pour ça, Internet est parfait. Sur mon label w.m.o./r, tous les albums sont disponibles gratuitement en ligne, les gens peuvent les télécharger au format gratuit ogg (en opposition au MP3, qui est breveté). Évidemment, ce n'est pas comme avoir un bel objet ; j'essaie aussi de faire de beaux objets et même de les vendre, ce qui n'a rien de facile. Mais au moins les gens n'ont pas besoin de travailler des heures pour se payer ce disque. R&C : Peux-tu nous parler de ce programme : Free software/GNU Linux, que tu utilises et crédites pour ton travail ? MATTIN : Je trouve très important que les gens sachent que l'on peut faire de la musique avec un logiciel gratuit et, plus important, libre (par opposition à Mac et Windows, qui sont des logiciels propriétaires). De nombreux musiciens pensent que le meilleur ordinateur pour la musique est un Mac, et ce n'est pas forcément vrai. Avec un minimum de connaissances, on peut acheter une machine bon marché, installer un système GNU/Linux et commencer à faire de la musique (évidemment, on peut aussi prendre deux pierres et faire de la bonne musique). J'ai commencé à comprendre l'importance des logiciels libres grâce à Metabolik, le Hacklab de Bilbao. Le logiciel est en général conçu par une communauté et fonctionne grâce au dialogue constant entre utilisateurs et producteurs. Tous ces gens qui travaillent gratuitement pendant des heures, est-ce du capitalisme avancé ? Je ne sais pas, mais si je crée de la musique avec ce logiciel gratuit, je vais également essayer de la donner. Le mouvement du logiciel libre a permis de faire émerger, entre autres, des questions à propos de la propriété intellectuelle, qui sont très complexes mais que je pense être la clef du futur. Le logiciel libre a été de toute évidence très important pour le développement des structures légales qui permettent à cette communauté de travailler. Mais dans le champ culturel, je crois que nous ne devrions pas nous en remettre à la loi et aux avocats (comme le fait Creative Common), et essayer de développer une idée plus généreuse du copyright. Je crois que nous devrions chercher des options qui échappent au copyright tel qu'il est géré par leurs bureaucrates. R&C : Certains improvisateurs se sont expliqués au sujet de leurs choix d’une instrumentation électronique, comme par exemple le laptop, en disant qu’il permettait de sortir de la mémoire des mains, des contraintes techniques liées à l’instrument vécues comme une limitation à l’imagination. Partages-tu ce point de vue ? À te voir sur scène, on a plutôt le sentiment que tu es frustré par ce rapport direct à l’instrument qui est ici totalement médiatisé. Il y a une coupure radicale entre le geste et le son produit. MATTIN : J'utilise l'ordinateur de différentes manières. Parfois, je le pousse au maximum de ses possibilités matérielles, en tapant, martyrisant le disque dur, ou pour le jeu en le secouant en tous sens, en créant du feedback comme avec une guitare ; d'autres fois, je me contente d'enregistrer ou jouer un fichier. Quand j'ai commencé à utiliser un ordinateur, je connaissais déjà toute la scène Mego, et je voulais jouer à l'opposé, jouer l'ordinateur de façon très analogique, essayer de sonner comme le jeu de guitare de Bruce Russell ou Keiji Haino. R&C : Toute la culture électronique tourne autour de l’idée de réactiver un ensemble de mémoires ou de gestes, d’en proposer d’autres agencements. On entre dès lors dans une fiction post-moderne qui va à l’encontre de l’Histoire telle que la pensait Marx. Tu réutilises parfois les sons produits par d’autres musiciens avec qui tu improvises. Peut-on parler d’improvisation dans ce cas, ou n’est-ce pas plutôt un réagencement ? N’es-tu pas dans une instrumentalisation de l’autre ? Que donnes-tu en échange lors de cette rencontre ? MATTIN : Ce que je faisais avant était encore plus simple : je me contentais de monter à fond le volume du micro interne de l'ordinateur et de repiquer les sons de la salle et des autres musiciens. Alors que les gens pensaient que je procédais à quelque forme de sampling, je ne faisais que des prises avec les pires microphones qui soient. Je conçois toujours la recontextualisation comme un processus créatif. J'ai trouvé très intéressants certains aspects de la prétendue approche réductionniste, comme le fait d'apprécier certains sons généralement considérés comme des chuintements ou autres grincements, qui peuvent sonner de manière très intéressante si on y prête attention et qu'ils sont amplifiés. Alors ces temps-ci, j'essaie d'enregistrer le public, qui produit parfois ce type de sons sans s'en rendre compte, et de le restituer via les haut-parleurs, de manière à rendre évident que ce qu'ils font constitue une part très importante, sinon la totalité, du concert. Qui donne alors ce concert ? À qui sont les sons que nous écoutons ? Toute la salle improvise, et plus que jamais ma position privilégiée de celui qui décide de jouer les sons enregistrés est exposée, ouverte aux questions et aux critiques. R&C : Tu viens d’une école d’art. Qu’est-ce que cela t’a apporté dans ta façon d’aborder le son ? MATTIN : Je pense qu'il y a un discours théorique plus élaboré dans le monde de l'art que dans celui des musiques expérimentales. C'est pendant mes études en art que j'ai commencé à m'intéresser à la théorie, à l'art conceptuel et aux notions de performances. Mais le problème du milieu artistique est qu'il est constamment en quête de la dernière nouveauté, du dernier truc cool, des concepts à la mode. R&C : À propos de ce train qu’on entend sur Training Thoughts, enregistrement live avec Taku Sugimoto et Totsuka, ça rejoint le caractère concret de la musique traditionnelle japonaise. Mais que nous apporte cette irruption de l’espace social dans le cadre rituel du concert ? N’est-ce pas une simple anecdote ? Pour le dire autrement, ce son « déterritorialisé » fait-il partie de votre musique (et si oui, dans quel sens) ou, inversement, l’espace social extérieur a-t-il besoin de musique ? MATTIN : Je trouve intéressant que des musiciens jouent doucement, s'adaptent aux sons ambiants. Il devient alors plus évident qu'on fait partie intégrante du lieu, de l'atmosphère, plutôt que d'essayer d'imposer son jeu. Je me souviens que le premier son est arrivé après la vingtième minute, l'atmosphère dans la salle était très concentrée ; quel que soit le son délivré, il se devait d'être spécial. En entendant l'enregistrement, je me rappelle qu'à l'écoute de la seconde note jouée par Taku Sugimoto j'ai été complètement transporté, je me suis dit que rien que pour cette note cet album devrait sortir. Ce concert m'a semblé passionnant par la façon dont nous infiltrions nos sons dans l'instant ; puis l'enregistrement devient autre chose, un genre de field recording avec un arrière-fond de subtile improvisation. C'est un autre apport intéressant du réductionnisme. R&C : Comment en es-tu arrivé à proposer une collaboration à Junko ? Quelle était ton idée ? Comment s’est passé ce premier concert à Tokyo avec elle ? As-tu le sentiment de renouveler l’approche de la noise ? Que penses-tu de l’idée de Masami Akita qui disait de la noise qu’elle était l’inconscient de la musique ? MATTIN : En fait c'est grâce à toi que s'est faite la collaboration avec Junko ; l'écoute de son album solo m'a vraiment enthousiasmée : brutalement minimal, cru et direct. Bien sûr, je connaissais Hijokaidan, et j'avais rencontré Jojo à la boutique Alchemy d'Osaka quelques années auparavant, mais je n'avais jamais pu apprécier réellement le talent de Junko jusqu'à ce que je l'entende en solo. C'est quelqu'un de très particulier, tellement humble et agréable, une grande artiste. Je citerai Merzbow : je pense que jouer noise, c'est être conscient du son. R&C : Un de tes projets les plus intéressants est à mon sens ton duo avec Taku Unami. Vous êtes tous deux dans une approche très personnelle du laptop, dans son détournement. Notamment par le choix de n’utiliser que les haut-parleurs intégrés. Tout ce courant onkyo a-t-il eu une influence sur toi dans ta façon de penser le son et son rapport à l’espace ? Quelle différence vois-tu dans vos approches respectives du computer ? Que penses-tu de toute cette jeune scène japonaise ? MATTIN : Je ne pense pas que Taku Unami se revendique de l'onkyo, mais il y a effectivement tout un tas de musiciens qui évoluent autour de lui. Taku Unami est un génie qui pourrait oser jouer en situation de concert improvisé, le bruit de la mer avec en cut le son d'un hélicoptère, le tout à partir d'un CD de samples. On peut faire de grandes choses avec un ordinateur, c'est vrai, mais là c'est vraiment barré. C'est un des musiciens les plus talentueux que j'aie rencontrés, mais également le plus joyeusement pervers. C'est toujours un challenge de jouer avec lui, et souvent je me demande ce que je suis en train de foutre ; pour être honnête, j'essaie de répondre à cette question depuis pas mal d'années et j'en suis toujours incapable. Je ne sais vraiment pas si nous créons une musique si complexe qu'il m'est impossible de la comprendre, ou si ce que nous faisons a si peu de sens qu'il est tout simplement stupide de vouloir en trouver un. R&C : Going Fragile, duo avec Radu Malfatti, est un disque problématique. Qu’y a-t-il à entendre dans ce disque ? Les sons ambiants (extérieurs à l’enregistrement) sont plus présents que les sons que vous pouvez produire. Faut-il y voir un déplacement sémantique de ce qui constitue le musical ? Voire une provocation ? Qu’apporte ce disque que la situation du concert ne procurait pas ? La situation d’écoute me semble très différente entre un live qui joue sur ce rapport aux silences et un disque (comme objet fini). J’ai envie de vous opposer cette phrase de John Cage : “Le seul problème avec les sons, c’est la musique.” Pourquoi ce choix de sortir cette musique silencieuse en disque ? MATTIN : Je ne crois pas que cette musique soit si silencieuse, je pense même qu'il se passe beaucoup de choses. Peu importe que ce soit nous ou pas qui produisions les sons dont tu parles, ils sont sur le CD et tu les écoutes en même temps que nos sons. C'est peut-être avec la seconde pièce, noisy et pas très bien enregistrée, que tu as des problèmes. Pour moi elle est intéressante, de la manière dont je pourrais envisager des enregistrements de Corpus Hermeticum pour lesquels la spécificité lo-fi doit être prise en compte. Je souhaitais faire cela, mais avec une forme très improvisée. R&C : Tes Songbooks sont des disques très punk, joué lo-fi de façon très approximative. Comment situes-tu ces disques de chansons par rapport à tes autres productions, et d’une façon plus précise par rapport à l’improvisation ? De quoi est-il question dans tes textes ? MATTIN : Le Lou Reed du pauvre, voilà qui j'essaie d'être dans ces Songbooks. C'est une exploration de ce que je peux faire dans le format chanson. Il y a une progression entre elles. J'ai toujours écrit des chansons, parce que je suis intéressé par la façon dont texte et musique s'y mêlent. Mon goût pour la littérature vient plus des chansons que des poèmes ou des romans. Les paroles et les chansons sont des esquisses de pensées et d'idées personnelles ; certaines peuvent être développées et évoluer, d'autres restent simplement en l'état. R&C : J’ai assisté à deux concerts de ton duo avec le batteur Tim Goldie : Deflag Haemorrhage/Haien Kontra. Si j’ai été enthousiasmé par le premier à la Cave 12 à Genève, notamment par cette incroyable énergie que vous tiriez de la musique noise et du rock dans un concert d’improvisation, le second m’a laissé plus dubitatif. Notamment l’aspect spectaculaire et cette agression jouée contre le public qui m’ont semblés plus gratuits la seconde fois ; vous étiez dans une répétition de ce que vous aviez joué la veille. Ça tournait aux gimmicks. Quels sont les concepts de ce projet ? Vous jouez beaucoup de la citation dans ce duo, que ce soit dans le visuel ou dans le son, convoquant autant Whitehouse que les Stooges, Peter Brötzman que Motörhead. Où se joue l’improvisation dans ce groupe ? Cette façon de déconstruire les codes théâtraux de la musique…, on songe à Fluxus dans une version hard-core. MATTIN : On définit ça comme de l'“abject music”, la volonté première étant de créer le plus de confusion possible dans la tête du spectateur ; ce que nous faisons en nous saisissant de toutes les propriétés de la noise, de l'impro et du rock, en les déformant autant que possible, en tenant compte du fait qu'en concert il se passe beaucoup de choses extramusicales qui ont cependant un impact sur la manière dont on conçoit la musique. C'est une musique de la frustration. Pour Tim, c'est le fait d'être un virtuose absolu de la batterie, le plus rapide même, et que ça ne lui suffit pas. Il a besoin d'autre chose, de déverser sa partie sur scène, de se sentir dégoûté par sa relation à l'instrument, de le cracher, de le gerber sur les autres musiciens, d'être conscient que quelque chose ne va pas vraiment, mais après ? Que faire ? Continuer à pousser, plonger dans les abysses de la logique jusqu'à parvenir à attirer l'attention des spectateurs sur cette absolue détresse, sur la conscience qu'aucun de ces gestes radicaux n'est et ne sera jamais suffisant, et qu'en même temps nous connaissons tous les vulgaires stéréotypes de cette musique et que nous n'y revenons pas. Parfois c'est drôle, d'autre fois pas du tout. R&C : Quels sont tes projets ? MATTIN : Je viens de sortir mon premier CD pressé, Proletarian of Noise. C'était très important pour moi, j'ai travaillé longtemps dessus. En fait, j'ai plus pensé qu'agi, ça a été dur de le terminer. Je suppose que c'était un manque de confiance. Un de mes amis, Xabier Erkizia, dit que Proletarian of Noise ressemble à un essai sonore. Cette remarque a été pour moi un grand moment d'enthousiasme, parce que j'ai essayé de travailler autour des idées sur le langage et de les mettre sur le disque. Joachim, d’Ideal Records, voudrait produire un truc solo avec moi, alors j'espère avoir terminé un autre album solo d'ici quelques mois. Je viens aussi de sortir sur w.m.o./r un CD de Josetxo Grieta, Euskal Semea dont je suis très content. Josetxo Grieta, c'est Josetxo Anitua, Iñigo Eguillor et moi. Euskal Semea, c'est deux versions d'European Son du Velvet Underground. Dans la première, nous avons traduit les paroles en euskara, la langue basque, ce qui change complètement le sens original de la chanson. La seconde est une pure improvisation. Un album d'un duo avec Junko, enregistré en juin 2006 par Taku Unami, devrait sortir bientôt sur Tochnit Aleph. Il y a aussi un autre duo avec Matthew Bower, un enregistrement chez Mick Flowers à Leeds au cours duquel j'ai perdu pas mal de mon oreille droite. En fait, Matthew a dû monter son volume de 80 %, je n'avais vraiment pas réalisé à quel point j'étais fort. Ça va sortir bientôt chez Bottrop-Boy. Et nous ferons sûrement bientôt quelque chose avec notre grand ami Billy Bao. Discographie 2001 Mattin, Betzain, CD-R w.m.o./r 00 Mattin, Tinnitus, CD-R w.m.o./r 01 Mattin/Prévost/Parlane, Sakada, CD w.m.o./r 02 Mattin, Higu CD-R w.m.o./r 03 Bi Rak (Mattin/Dennis Dubovtsev), Betzain, CD-R w.m.o./r 04 2002 Mattin/Rosy Parlane/Xabier Erkizia, Mendietan, CD w.m.o./r 05 Sakada, Undistilled, CD Matchless 2003 Mattin, Gora, CD-R Twothousanand Mattin/Rosy Parlane, Agur, CD-R Absurd Belaska, Vault, CD w.m.o./r 06 Sakada, CD Sound 323 2004 Radu Malfatti/Mattin, Whitenoise, CD w.m.o./r 07 Taku Sugimoto, Yasuo Totsuka et Mattin, Trainging Thoughts, CD w.m.o./r 09 Margarida Garcia et Mattin, For Permitted Consumption, CD-R L´innomable Mattinbarnes, Live at Issue, NYC, CD-R Quakebasket Radu Malfatti, Klaus Filip, Mattin et Dean Roberts, Building Excess, CD Grob Sakada, Never Give Up in the Margins of Logic 3, CD Antiopic Sakada, Bilbao Resiste, Resiste Bilbao, CD-R Fargone Records Junko et  Mattin, Pinknoise, CD w.m.o./r 13 Mattin, Basque Rd, CD-R Document Mattin et Dion Workman, Via Vespucci, CD  Antifrost Mattin et Taku Unami, Shyrio No Computer, CD w.m.o./r/Hibari Sakada, Askatuta, CD-R The Rizhome Label 2005 Billy Bao, Bilbo's Incinerator, 45 tours w.m.o./r NMM-No More Music at the Service of Capital  (Lucio Capece et Mattin), CD-R Why Not LTD Deflag Haemorrhage/Haien Kontra, Luxury CD-R w.m.o./r Mattin, Songbook, CD-R Hibari Billy Bao, R'nR Granulator, CD w.m.o./r Dion Workman et Mattin, S3, CD Formed Records 2006 Francis/Guerra/Stern/Mattin, 7", cmr Billy Bao, Auxilio!, CD-R Herbal Live Series Mattin, Songbook vol. 2, CD-R Ausaider Magazine La Grieta, Hermana Hostia, CD-R w.m.o./r Mattin et Cremaster, Barcelona, CD-R Audiobot Guionnet/Denzler/Unami/Mattin, CD-R Fargone Records Mattin, Songbook vol. 3, CD-R Black Petal Radu Malfatti et Mattin, Going Fragile, CD Formed Records Josetxo Grieta, Reminder of a Precious Life, CD-R Audiobot Kneale et Mattin, con-v, CDr Axel Dörner et Mattin, Berlin, CD Absurd/1000+1 Tilt Lene Grenager, Harald Fetveit, Lasse Marhaug, Lucio Capece et Mattin, cdr, CD-R The Seedy R! Mattinbarnes, Achbal Al Atlas, CD Little Enjoyer Mattin, Songbook vol. 4, CD Azul Discografica Tony Conrad, Tim Barnes et Mattin, CD Celebrate PSI Phenomenom NMM, Universal Prostitution CD Ideal, Absurd, 8mm Mattin, Proletarian of Noise, CD Hibari Music Josetxo Grieta, Euskal Semea, CD w.m.o./r